OUIE D'ENCRE
poème de Jean Marie De Crozals
pour André Aragon
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Plus elle brûle la mort plus l’encre vit
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Elle allume un feu
Danse, et nue, enivrée, mourra la mort
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Par quelle voie ingénue ?
Dans un jardin délivré de tout soupçon
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N’y a-t-il d’autre lueur que cette étreinte ?
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Oui corps d’encre ouïe
Eternité de midi
Voient ses ouïes
Boivent les nues
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Son sang un ru
L’os de sa langue
Le chuchotis du vent
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Il peint la soif de voir l’invisible
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Plus il buvait à l’encre
Plus il avait soif de l’ivre issue
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Devant lui, derrière
Pas de trace aujourd’hui
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Vide il le cherche
Trouvé il est plein
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Il remonte le seau vide et boit à sa soif
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Une fois il a dit : « je suis la voie de l’eau d’un seau percé »
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Un autre jour il disait : « ma vie est sans fond à la juste profondeur »
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Ce qui lui manque, l’autre moitié du cercle ?
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Avant tout la Beauté meut le regard vers sa mue
Ce par quoi l’on peut voir demeure dans le silence
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Il fait dire à la lumière ce qu’elle ne peut dire
Plus que jamais
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Lové là dans l’essaim d’un corps délesté qui a percuté la brèche
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Affleure ce qui brûle et tisonne l’obscur
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Buée d’or d’une terre initiale
Or béant au faîte de l’instant
Une seule chair avec le souffle
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Où saisir la fin et le commencement –être saisi par cela-, leur mutation commune, c’est parvenir au sans forme (la grande forme), où inspir et expir sont en balance
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Ici le silence trouve sa demeure, ni le vide, ni le néant, sinon son assomption : une joie d’yeux extasiés
L’éclair balbutiant de notre éblouissante cécité
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Le peintre demeure dans l’immense comme juché au sommet d’une montagne ouverte à tous les horizons
Tombées dans le vide il y a ses mains
Il répare l’éternité
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Jean-Marie de Crozals
Janvier 2016